INÉDIT EN FRANCE, RIFKIN’S FESTIVAL EST UN WOODY ALLEN TRÈS, TRÈS MINEUR. MAIS LOUIS GARREL Y EST IRRÉSISTIBLE.

Wallace Shawn, Gina Gershon et Louis Garrel dans Rikin’s Festival

Je ne sais pas pourquoi j’ai eu tout à coup envie de voir le dernier Woody Allen, au point de dépenser une poignée de dollars pour le louer en vod, avec sous-titres anglais – il est dispo depuis un moment sur l’iTunes italien, que je fréquente aussi, mais doublé en italien, ce qui n’est drôle que cinq minutes. Après avoir fait l’ouverture du Festival de San Sebastian à l’automne 2020, Rifkin’s festival, production hispano-italienne (avec comme producteur, côté ibérique, Jaume Roures et Mediapro, bien connus des fans de foot français), est sorti discrètement dans une dizaine de pays (meilleurs scores en Italie et en Russie). Mais les polémiques entourant le cinéaste (cf. Allen v. Farrow, pour plus de précisions) rendent désormais les choses plus difficiles. De fait, annoncé un temps chez le distributeur français Apollo Films, Rifkin’s festival a disparu des agendas hexagonaux. Le voilà discrètement en day-and-date (salle et vod simultané) aux Etats-Unis.

Je sais pourquoi j’ai eu dans l’absolu envie de voir le dernier Woody Allen : avant d’être là où il en est aujourd’hui, le cinéaste a occupé une place centrale dans ma cinéphilie (et dans celle de pas mal de gens autour de moi). Une dizaine de chefs-d’œuvres, presque autant de très bons films, et même des choses à garder dans ses escapades européennes – j’aime beaucoup Vicky Christina Barcelona. Magic in the moonlight, en 2014 m’attrape encore mais je me souviens m’être dit confusément pendant la projection de Café Society, à Cannes 2016, qu’on n’en pouvait plus, a fortiori les mœurs évoluant dans le sens que l’on sait, de voir le quinqua (Steve Carell) partir une fois de plus triomphant avec la toute jeune ingénue (Kristen Stewart). Du bon, du moins bon, mais savoir où en est le cinéaste de 86 ans, c’est une curiosité légitime : la cinéphilie a longtemps célébré le dernier film des grands auteurs : Frontière chinoise, Gens de Dublin, Sarabande, etc.

Il ne faut pas longtemps pour comprendre que Rifkin’s festival n’est pas de ce niveau. Rifkin, joué par Wallace Shawn (le mec « très beau » pour qui Meryl Streep quittait Woody Allen dans Manhattan, l’un des bons gags du film), est un ultra cinéphile, ex-prof de cinéma, écrivain frustré, qui accompagne son épouse, attachée de presse (eh ouais), au Festival de San Sebastian (grosse participation aux frais de la région basque) : elle s’y occupe d’un jeune cinéaste français, dandy ridicule, auteur d’un film courageux « contre la guerre », joué par Louis Garrel. Et elle n’est pas insensible à son charme – ce que l’on comprend vu son grumpy de mari. Les situations sont un peu éculées et les scènes dialoguées s’éternisent sans vrai panache…

Wallace Shawn joue évidemment l’un des nombreux avatars de Woody Allen (bien qu’il ait davantage le physique de Billy Wilder), geignant contre tout et particulièrement le cinéma d’aujourd’hui, faisant de Rifkin’s festival une sorte de Stardust Memories cacochyme et sous tranxène. Avec malgré tout, ici ou là, un peu de charme : d’abord des « à la manière de » en noir et blanc où les pensées du personnage s’incarnent à la façon de Fellini, Godard, Truffaut, etc. C’est un peu l’histoire du cinéma pour les nuls, c’est fait de façon éléphantesque, mais le « clip » bergmanien qui passe de l’anglais au suédois est marrant (il reste deux segments peu identifiables, l’un vaguement antonionien, l’autre pouvant être du Woody Allen d’avant, du temps de la grande forme).

Enfin, s’il y en a un qui s’amuse ici, c’est Louis Garrel : il est absolument parfait en cinéaste tête-à-claques, sûr de son génie et de ses différents dons – la navigation et… les bongos, ce qui nous vaut une scène irrésistiblement comique où il accompagne un orchestre de jazz en multipliant les œillades langoureuses. Je ne sais pas si Rifkin’s festival sera le dernier film de son auteur – je le pense, sans certitude – mais, pour paraphraser Dickens, il ressemble au fantôme des Woody Allen passés. Un peu affadi, un peu malheureux. Ça peut être touchant, un fantôme.