Très envie de partager mon enthousiasme pour Dream scenario, sorti entre la dinde et le saumon, que je trouve inventif, savoureux, vendu à tort comme une comédie fantastique, alors qu’il s’agit d’une satire très noire des excès du monde d’aujourd’hui. Il s’agit du premier film américain du Norvégien Kristoffer Borgli, qu’il a lui-même écrit : il n’est pas si fréquent qu’un auteur européen reste entièrement lui-même en traversant l’Atlantique, mais c’est ici le cas puisque l’on retrouve, en plus abouti, le ton singulier et volontiers malaisant de son précédent opus, Sick of myself (qui avait des airs de spin off tordu de Julie en douze chapitres).

Point de départ : un prof de fac un peu aigri acquiert une célébrité inattendue en apparaissant, sans y être pour quoi que ce soit, dans les rêves de ses proches, puis de centaines d’inconnus. Transformation de l’individu en « meme ». Avant même de savoir comment profiter de cette notoriété (une scène hilarante dans une agence de conseil dirigée par Michael Cera rappelle le rendez-vous Netflix de Nanni Moretti dans Vers un avenir radieux), le retour de bâton et cruel : après avoir été un personnage de rêve, le prof sans histoire devient le héros actif, toujours malgré lui, des cauchemars des autres. Commence alors une mise à mort sociale… 

Ça pourrait n’être qu’un pitch très malin, à la Vincent doit mourir ; mais la force du film est de savoir dépasser, pour la nourrir, cette idée de base. De fait, le film effleure avec humour des sujets ultra contemporains. Exemple, que je trouve assez fin : peut-on « annuler » quelqu’un parce qu’il vous harcèlerait, totalement à l’insu de son plein gré, dans votre sommeil ? C’est exactement ce que demandent (et obtiennent) les étudiants du cours de biologie évolutive que donne notre malheureux héros. La discussion ci-dessous avec son supérieur de la fac est assez édifiante…

Beaucoup de critiques ont cité, à juste titre, l’univers noir du scénariste et réalisateur Charlie Kaufman (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation, pour ne parler que de son travail avec Spike Jonze). Il y a de ça, on est dans le même espace mental tortueux – a fortiori quand le réalisateur, qui aurait tort de se priver, brouille la frontière entre rêve et réalité. Mais il y a chez Kaufman un désespoir préalable inconsolable, tandis que le réalisateur de Dream scenario est avant tout un satiriste (à mes yeux beaucoup plus subtil que son homologue scandinave Ruben Ostlund).

Il est vrai que Nicolas Cage était, avec vingt ans de moins, le héros de Adaptation. On a beaucoup glosé sur les choix de carrière du comédien, sur ses mutations capillaires inégalement convaincantes, son goût du cabotinage. Ici, dans un personnage qu’aurait pu jouer Paul Giamatti (ou il y a vingt-cinq ans Woody Allen), il est parfait de médiocrité un peu rance : il prévoit d’écrire un livre sans cesse reporté sur l’intelligence évolutive des fourmis, dont il paraît lui-même totalement dépourvu. Mais dans ses rêves enfouis, ses ruminations autodestructrices, ses névroses qui l’entravent (un adultère foiré est l’une des pires scènes d’amour jamais filmées), il s’élève à la hauteur d’un personnage tchékovien et il y a en lui un peu de chacun de nous.