Pietro Castellitto, Giorgio Tirabassi, Aurora Giovinezza, Claudio Santamaria et Giancarlo Martini : la fine équipe de Freaks out.

UN VRAI BLOCKBUSTER À L’ITALIENNE, UN PEU TROP IVRE DE SA PYROTECHNIE, MAIS AUX SUPER-HÉROS INCROYABLEMENT ATTACHANTS. MI PIACE ÉNORMÉMENT FREAKS OUT, DE GABRIELE MAINETTI.

Je pense que ce film-là, on ne sera pas beaucoup à l’aimer, mais j’espère que ceux à qui, comme moi, il plaira, l’aimeront fort, de cet amour un peu intime, un peu bizarre, qu’on a pour les entreprises audacieuses et quasi-suicidaires, lui faisant une belle place au sein du festival des films maudits qu’on a tous au fond de nous… Présenté hors compétition au Festival de Rotterdam, après une première au Festival de Venise, où il a été accueilli fraîchement, Freaks out est le deuxième film de Gabriele Mainetti après On l’appelle Jeeg Robot, qui était peut-être la première histoire de super-héros transalpin (si l’on oublie Scipion l’Africain) et qui a fait un tabac dans la péninsule en 2015 (plus d’1 million d’entrées).

La roulotte des freaks marche sur Rome.

Ce succès inespéré lui a donné les mains libres pour un deuxième opus encore plus spectaculaire, un blockbuster sur le Tibre : l’histoire de « monstres » de cirque, dotés de pouvoirs fantastiques, qui combattent les nazis occupant Rome. Ils sont quatre : un homme-loup d’une force colossale, un nain qui attire les métaux et peut les manœuvrer à distance, un jeune albinos qui commande aux insectes, et une jeune fille, presqu’encore une ado, portant assez d’électricité en elle pour brûler qui la touche. Un carré de freaks convoité par le Zirkus Berlin, installé à Rome, et surtout par son ordonnateur et attraction principale, un voyant qui lit l’avenir, qui a deviné la défaite du Reich, et qui pense que les super-pouvoirs de ces « quatre fantastiques » pourraient changer le cours de l’histoire.

Franz Rogowski, nazi et illuminé dans Freaks out

Summum de syncrétisme, le film a des airs de prequel caché de Hellboy – la référence à Del Toro est écrasante – avec un peu d’Alex de la Iglesia période Balada triste (presque la seule qui vaille) et un vague soupçon de Babylon Berlin – notamment par la façon dont Franz Rogowski, acteur petzoldien, ici flanqué de deux mains à six doigts et d’un survêtement Adidas à croix gammée, ensorcelle l’intelligentsia romaine collaborationniste. Ajoutez, référence subliminale obligatoire dès qu’il y a des super-héros et des nazis, un peu du Michael Chabon des Aventures de Kavalier et Clay. Si ces références ne vous disent rien, voire vous effraient, passez promptement votre chemin.

Mais il y a plus, qui a à voir avec l’italianité (voire la romanité) du projet, et m’évoque le Pinocchio de Garrone, lequel m’avait tiré les larmes (et fait ricaner beaucoup d’autres) : ainsi, la première scène, courte représentation d’un cirque de fortune où travaillent nos drôles de héros, est-elle d’un féérique et d’un loufoque, que, pour être franc, le film ne retrouvera jamais complètement, et qui m’émerveille mystérieusement. Je ne sais pas s’il existe un fantastique proprement italien, ou plutôt si l’on peut faire un lien entre, disons, Dino Buzzati, que je mets très haut, et les fumetti de super-héros. Il y a, au moins, la langue, et ce kolossal où résonnent des « stronzi di nazisti » – imbéciles de nazis – et où d’improbables partisans éclopés parlent avec l’accent romain, a pour moi quelque chose d’enchanteur.

Ce qui fait chaud au coeur, surtout, c’est ce magnifique « vivre ensemble » des monstres et des difformes, la touchante cohabitation forcée d’êtres à nuls autres pareils, la solidarité née de la différence – des grands mots, des grands sentiments ? j’y ai été extrêmement sensible. Alors, comme on l’a reproché au film, les personnages auraient pu être plus creusés, l’humour plus subtil et la bataille finale moins longue – mais elle commence dans un train de façon brillante. Vertige de la pyrotechnie… Peu importe et je dois dire que je suis assez bluffé, voire reconnaissant qu’il signor Mainetti n’ait pas cédé à la séduction des plateformes, et transformé son projet en film ou en série pour le petit écran. Je crains que l’échec de Freaks out (dont la sortie française est annoncée, sans grande pompe – pas encore de bande-annonce – par Metropolitan Filmexport pour le 30 mars) ne le conduise vers ces nouveaux débouchés. Vedremmo.