Qui en voulait à Yara (Chiaro Bono) un soir d’hiver en Lombardie ?

PLAISIR SURPRISE D’UN FILM INCONNU CROISÉ PAR HASARD SUR NETFLIX : UN POLAR JUDICIAIRE ITALIEN QUI SAISIT PEU À PEU LE SPECTATEUR.

Parfois, le soir, on ne sait pas trop quoi regarder, alors on zappe jusqu’à la migraine ophtalmique, passant en revue des kilos de visuels de films disponibles sur des plateformes qui coûtent un bras, et on s’arrête, lassé, sur Netflix, parce que l’ergonomie y est meilleure que partout ailleurs, et puis, tiens, la bande-annonce se lance en italien. C’est un film de Marco Tullio Giordana, récent, qui s’appelle Yara, on se souvient que c’est le réalisateur de Nos meilleures années et aussi des Cent pas, et qu’il y a toujours eu, au moins, de l’honnêteté dans son cinéma, alors, pourquoi pas ?

Quand le film commence, on se rend compte que c’est un true crime avec une ado disparue, une famille éplorée, une jolie procureure qui fait de la moto, et là on se rappelle qu’on n’a plus trop eu de nouvelles de Marco Tullio Giordana depuis les films cités plus haut, qu’il a passé les 70 ans et, d’ailleurs, peut-être ne travaille-t-il plus que pour la télé…? D’ailleurs, est-ce un film ? Un RAI-drama ? L’image est plate, la mise en scène minimale, on est à deux doigts d’envoyer un sms à un ami romain pour lui demander si, par malheur, sur son Netflix transalpin (le même), il a lui aussi assisté au naufrage, s’il en connaît les causes.

On se retient, et on a raison, parce que quelque chose, mystérieusement, prend. Il se peut que ce soit le récit, costaud : le film retrace minutieusement la longue enquête ayant suivi la mort violente de Yara Gambirasio, 13 ans, retrouvée morte en février 2011, trois mois après sa disparition, dans un terrain vague de Brembate, cité-dortoir proche de Bergame. Il y a bien un ADN inconnu sur ses sous-vêtements, mais, à la différence de la France, l’Italie ne dispose pas d’un fichier dans lequel comparer les données retrouvées.

Alors, Letizia Ruggeri, la procureure motarde, lance une coûteuse opération de grande ampleur : recueillir le maximum d’ADN des habitants de la région, et comparer, comparer, comparer… Le truc patine pendant des mois, avance par à-coups via des rebondissements assez fous et l’enquêtrice acharnée en profite pour se mettre à dos sa hiérarchie, et, comprend-on à demi-mot, les instances politiques locales – on suppose que, dans cette région du Nord, la Ligue de Salvini doit avoir quelques adeptes et que le tout premier suspect marocain, arrêté puis rel^$aché, aurait parfaitement fait l’affaire.

Le film tire son efficacité d’un ultra-réalisme qui tient de l’entomologie, via un super casting qui fait défiler des tronches d’Italien(e)s moyen(e)s. On voit alors ce qui a pu remuer l’opinion au cours de cette quête vertigineuse d’ADN compatible : au fond, ce qui est su, mais rarement intégré, c’est que n’importe qui peut être coupable, sans signe extérieur de déviance. N’importe qui, c’est tout le monde – de fait, l’affaire a secoué l’opinion italienne, qui n’en finit pas de douter de son verdict. La sobre interprétation d’Isabelle Ragonese dans le rôle de la Signora Ruggeri, sans esbroufe ni effet de manche, fait le reste. Yara n’est pas un immense film de cinéma mais un bon film de plateforme, qu’on n’est pas mécontent d’avoir croisé par hasard, et auquel on est même heureux de s’être laissé abandonner, découvrant un autre visage de cette Italie qu’on aime tant.