Betty Gilpin, géniale héroïne badass de The Hunt

Craig Zobel, le réalisateur de The Hunt fait le point sur la sortie contrariée de son film et sur l’Amérique par temps de Covid

Depuis le début de la pandémie, il y a les cinéastes qui ont vu la sortie de leur film repoussée et ceux qui ont vu la carrière de leur film interrompue. Et puis il y en a un qui cumule les deux situations : l’Américain Craig Zobel, 45 ans, n’en finit pas d’enquiller les déboires avec son quatrième opus, The Hunt, produit par le petit génie du film d’horreur, Jason Blum. Dans cet amusant thriller ultra-gore, un petit groupe d’Américains progressistes se divertissent en traquant ceux qu’Hilary Clinton appelaient pendant la campagne présidentielle de 2018, les « déplorables » : racistes, complotistes etc., tous futurs électeurs de Trump. La référence est assumée, le mot soigneusement placé dans les dialogues. 

Craig Zobel, 45 ans, réalisateur de The Hunt

The Hunt devait sortir à la fin de l’été 2019, mais la violence de sa bande-annonce a choqué dans le sillage immédiat de deux tueries telles que l’Amérique surarmée en connaît, au Texas et en Ohio. Donald Trump lui-même s’en est mêlé, en deux tweets du 9 août où il fustige le racisme et la haine de la soi-disant « élite » d’Hollywood : « le film est fait pour provoquer le chaos. » Avec sa confusion habituelle, c’est-à-dire sans se rendre compte que les salauds du film sont plutôt du côté de ses ennemis… Illico, voilà The Hunt déprogrammé. Il débarque finalement sur les écrans américains le 13 mars, soit… trois jours avant la fermeture des salles. Il atterrit alors en vod, mais au prix fort : en location uniquement – et, en France, à 17,99 euros. Barbe de hipster et ironie facile, Craig Zobel rembobine à l’autre bout du Skype sa malchance récente.

Etre la cible d’un tweet présidentiel, ça vous rend fier ?

Je ne sais pas si j’en suis fier, c’était une période très bizarre. Au moins quelque chose m’est arrivé qui n’est pas arrivé à tout le monde ! Mais cela s’est accompagné de beaucoup de haine contre moi, donc ce n’est pas très drôle. Je continue à recevoir des messages du genre : « Jésus Christ m’a demandé de prier pour vous qui avez fait un film si horrible dans le but de détruire notre pays ». Je sais pourtant que ce sont des « trolls », et qu’il y a aussi beaucoup de « bots », des comptes créés la veille dans le seul but de dire à quel point ils haïssent Craig Zobel !

Vous vous attendiez à une telle controverse ?

Pour moi le film n’est pas politique, je voulais surtout qu’il soit spectaculaire et divertissant. Evidemment, il a un aspect satirique propre à susciter quelques réactions outragées mais je les voyais plutôt venir du camp démocrate ! En fait, en d’autres circonstances, je pense que The Hunt n’aurait pas été pris aussi au sérieux. Prenez la franchise American nightmare : une affiche de l’opus 4, le prequel de la série, montrait une casquette rouge semblable à celle que porte souvent Trump.

En remplaçant le slogan « Make America great again » (Rendez sa grandeur à l’Amérique) par son titre, The First purge. Analogie évidente et zéro réaction. C’est aussi un film Blumhouse : Jason Blum aime jouer avec les codes de l’actualité politique américaine. Il faut croire qu’en moins de deux ans les choses ont tellement changé dans notre société que ce n’est plus acceptable. Ce que The Hunt a montré, à notre corps défendant, c’est l’incroyable division de notre pays.

Hilary Clinton est-elle intervenue ?

Cela aurait été la cerise sur le gâteau. Mais je ne pense pas qu’elle ait vu le film. Si vous relisez le discours où elle qualifie une partie de la population de « déplorable », on ne peut qu’être d’accord : pour elle, ce sont les sexistes, les racistes, les homophobes, les bigots, etc. Eh oui, ces gens-là sont déplorables. Ce n’est pas un gros mot. Tenez, je le mettrai dans mon prochain film ! La victimisation est une stratégie couramment utilisée par Fox News, et c’est aussi vrai maintenant en ces temps de coronavirus. Il faut être victime de quelque chose : aujourd’hui on se dit victime de cette injonction horrible, « Stay home » – restez chez vous. 

Je suis très cynique aujourd’hui concernant la machine médiatique de droite, elle est très organisée. La pandémie a laissé espérer que le pays retrouverait une forme d’unité nationale, et alors mon film n’aurait plus eu de sens. Et puis très vite, non, les divisions ont repris. Regardez les photos de ceux qui, armés jusqu’aux dents, s’insurgent contre le confinement, notamment dans le Michigan : on dirait des personnages de mon film !

Dans le film « l’élite progressiste » est accusée de pourchasser et tuer des « déplorables ». Mais une fois que le soupçon les a discrédités, ils deviennent réellement des tueurs…

Oui, les personnages finissent par se rendre coupables de ce dont on les accusait à tort. Un astucieux renversement qui m’avait plu dans le scénario de Damon Lindelof et Nick Cuse, un tandem avec qui j’avais travaillé sur plusieurs épisodes de The Leftovers. Aux Etats-Unis, la théorie du complot est partout. Quand ils m’ont envoyé le script, j’ai pensé au « pizzagate ». Des gens ont prétendu que couple Obama était impliqué dans un trafic international d’enfants, dont le QG aurait été une pizzeria de Washington. Du coup, un type a débarqué dans la pizzeria en question, armé et menaçant, en demandant qu’on le conduise au sous-sol. On lui a répondu : « Désolé, il n’y a pas de sous-sol ». Quand le projet m’a été proposé, J’avais quitté New York pour m’installer dans une petite ville de Géorgie, Athens. J’avais quitté une bulle politique pour me retrouver immergé au milieu de gens aux opinions très différentes. J’avais envie de parler de cette Amérique-là.

Vous avez revu Les Chasses du Comte Zaroff avant de tourner The Hunt ?

Non, mais je m’en souvenais pour l’avoir vu à l’école de cinéma. En revanche, vous allez être surpris, j’ai revu La Règle du Jeu, de Jean Renoir. Un film que Nick Cuse, l’un des scénaristes, aime beaucoup et qu’il nous a conseillé pour le traitement     des rapports de classe. Dans une première version du scénario, l’un des personnages regardait même le film de Renoir sur son ordinateur. Ça n’est pas resté. En revanche, avant chaque tournage, je revois les dix premières minutes de Bleu, de Kieslowki : une vraie leçon pour apprendre à raconter une histoire sans dialogues.

Vous avez été mêlé aux discussions sur le report de la sortie, le prix de la location vod, etc. ?

Non, c’est le studio, Universal, qui a décidé de repousser la sortie, et c’était une sale journée. Je voulais que les gens voient le film, ils se seraient rendus compte de ce qu’il était vraiment. Jason Blum pensait pareil. Mais j’ai compris à un moment que la polémique était trop importante. Pourtant, on a vu comment un autre studio [Warner, ndlr] s’est débrouillé avec la controverse autour de Joker [le film a été accuser d’inciter à la violence]. Alors que notre film me paraît moins cynique. 

Quant au tarif, je n’ai rien à voir avec cette décision. Je leur ai dit ce je pensais, qu’il y aurait beaucoup plus de spectateurs si le film était moins cher, mais il n’ont pas tenu compte de mon avis. Bien sûr, on ne m’a donné aucun chiffre concernant le nombre de locations, mais il semble significatif. 

 Où êtes-vous confiné ?

A Philadelphie, où je viens de finir le tournage d’une mini-série pour HBO, Mare of Easttown, avec Kate Winslet. Elle joue une flic divorcée, dans une petite ville de Pennsylvanie. C’est une série policière, assez naturaliste. Un vrai changement de ton pour moi !

The Hunt, en location sur iTunes, Rakuten, etc.