Philippe Léotard, Zoé Chauveau et Albert Dray : un trio follement attachant dans L’Ombre des châteaux, de Daniel Duval, aujourd’hui réédité.

Dans L’Ombre des châteaux, de Daniel Duval, il y a la liberté du cinéma français des années 70, Philippe Léotard et une image sublime. A redécouvrir d’urgence.

Sorti en 1977, L’Ombre des Châteaux, de Daniel Duval (1944-2013) appartient à une décennie oubliée du cinéma français qu’il faudrait sérieusement réexplorer : la Nouvelle Vague est déjà un souvenir, les prochains faiseurs d’images (Besson, Beineix) sont encore balbutiants. Derrière quelques grands noms (Truffaut, Sautet, etc.) et les éternelles comédies, un cinéma en liberté voit le jour, modeste et inventif. Il est souvent l’œuvre de francs-tireurs : ainsi Daniel Duval, cinéaste autodidacte, lui-même issu d’un milieu défavorisé (il racontera son enfance en 2006 dans Le Temps des porte-plumes), invente-t-il quasiment son propre style avec Le Voyage d’Amélie (1974) qu’il développe trois ans plus tard.

Pour faire court, son cinéma s’attache aux « sans-dents », comme on ne dit pas encore. Personnes rarement hissées au rang de personnages : ici, une famille de sous-prolétaires du Nord de la France, d’origine italienne, qui vivote dans une cabane crasseuse à l’ombre des terrils ; les châteaux sont au cœur d’un fantasme : partir au Canada –  et amener avec eux leur jeune sœur, placée dans un pensionnat religieux après un énième larcin… La chronique sous le seuil de la pauvreté devient un road-movie attachant et, bien sûr, désespéré.

En voyant le film aujourd’hui, on est surpris de son style composite : dialogues réduits à l’essentiel (Duval se repose un peu trop sur les mélodies de Maurice Vander), constellation d’influences ou de compagnonnages artistiques. Un peu de Pialat, un peu de populisme français des années 30 (au sens de courant artistique, pas d’opinion politique peu recommandable), un détour par le réalisme magique (une carriole attaque un groupe de motards qu’on croirait sorti de La Vie de Jésus, une draisine se transforme en char à voile).

Le magnétisme tranquille de Philippe Léotard, quelque part entre Dewaere et Lindon, une belle gueule d’anti-héros, emporte tout. Mais au-delà de son charme puissant (et de celui de ses partenaires, Albert Dray et Zoé Chauveau), on est surtout frappé par la puissance plastique du film, bien restauré en 4K par son chef-op’, Pierre Lhomme, peu de temps avant sa mort. C’est à se demander si les copies tirées à l’époque – et les projections d’alors – avaient rendu justice de la même façon à ces cadres puissants, ces couleurs chaudes (et pré-numériques). Un hyperréalisme doux

Comme si d’autres histoires demandaient à être dites…

Derrière ses héros pieds nickelés, Duval fait parfois durer ses plans, comme pour suggérer qu’il y a d’autres histoires, d’autres destins à raconter : une petite amie qui repart en Belgique, un couple qui se dispute autour d’un piano, un père de famille à lunettes, flanqué de ses enfants également binoclards, dans une fête foraine. Ce que le film perd parfois en puissance dramatique, il le gagne en images fortes – qui évoquent, autre anachronisme, le travail du photographe anglais Richard Billingham (également réalisateur de Ray & Liz). Bref, c’est passionnant et ce témoignage vibrant d’un monde englouti est à redécouvrir en salles ou en combo dvd/blu-ray (avec en bonus un assez bon documentaire sur le film).

L’Ombre des Châteaux, en salles le 4 mars ; en blu-ray et dvd chez Tamasa