EX-PÉPINIÈRE DU CINÉMA INDÉPENDANT, LE FESTIVAL DE SUNDANCE, CETTE ANNÉE 100% « ON LINE » ACCUEILLE DES FILMS DE PLATEFORME, PLUTÔT CONVAINCANTS.

Sebastian Stan et Daisy Edgar Jones dans Fresh, de Mimi Cave

J’ai souvent rêvé d’aller au Festival de Sundance. Mais, même pour le journal riche pour lequel je travaillais à l’époque, c’était trop cher, trop loin, trop compliqué, pour un intérêt jugé limité pour nos lecteurs. C’eut été un récit rigolo, pourtant, de raconter cette espèce de foire aux bestiaux des jeunes talents américains, surtout à l’époque où les majors avaient leur division arty – aujourd’hui, les plateformes et leur énorme carnet de chèques mettent tout le monde d’accord avant même que les enchères ne commencent.

Bon, comme jadis Lagardère (référence de boomer, pardon), Sundance a fini par venir à moi : l’édition 2022 est 100% en ligne, accessible depuis son salon (et même sa télé grâce à une app très performante). Je vous en raconterai ici ce que j’en attraperai. Avec, pour commencer, cette ironie suprême (ou désolante, c’est selon) faisant que les premiers films vus sont des films de plateforme, donc destinés à être majoritairement regardés (surtout chez nous, vieille histoire) de la même façon, c’est-à-dire dans son salon (ou dans sa chambre, ou dans le train, sentez-vous libre). Festival virtuel pour 7ème art virtuel.

Une fois qu’on a dit ça, il faut souligner que ces deux premières oeuvres, plutôt réussies, témoignent de ce qu’est un certain cinéma américain aujourd’hui, un œil sur les sujets de société du moment (violence faite aux femmes, racisme subi par la population noire), l’autre sur les vieilles recettes narratives, et, bizarrement, ce grand écart oculaire ne les fait pas loucher.

Fresh, de la jeune Mimi Cave marche sur les traces de Promising Young Woman, mais en plus détendu, et je le trouve supérieur : une jeune femme (Daisy Edgar Jones, révélée par la série Normal people, très bonne actrice) entame une histoire charmante avec un homme apparemment charmant (Sebastian Stan) jusqu’à (mini-spoiler) qu’elle se réveille, attachée, dans la cave du Monsieur.

Très vite, et c’est tant mieux, l’horreur presque gore des pratiques de son geôlier transforme Fresh en un vrai film de genre, gommant ce que le projet pouvait avoir d’opportuniste/branchouille (La Femme et Juniore dans la B.O. c’est un peu too much). C’est donc un survival un peu déjà vu mais bien ficelé (au sens où un rôti est ficelé, vous comprendrez en voyant le film), bien joué et bien photographié par le chef-op’ d’Ari Aster. Destiné à Hulu, le film arrivera sans doute chez nous sur Disney+ (alors qu’il aurait largement sa place en salles).

Au premier plan, Donald Elise Watkins et RJ Cyler dans Emergency de Carey Williams

Le cas d’Emergency, de Carey Williams, produit par Amazon, est un peu différent. Le film me semple plus intéressant et un peu moins abouti, extended version d’un court-métrage déjà montré à Sundance. Il commence comme une comédie de fac, dont les deux héros sont noirs, l’un super étudiant destiné à Princeton, l’autre joyeux glandeur souvent défoncé. La veille des vacances de printemps, alors que tout le campus fait la fête, ils découvrent chez eux une jeune fille blonde inconnue, allongée dans son vomi. Avec leur coloc mexicain, ils ne sont sûrs que d’une chose : s’ils appellent des secours, la police les rendra responsables de l’état de la jeune femme.

Commence un long périple absurde et périlleux pour emmener la malheureuse jusqu’à un hôpital. Un peu trop absurde, peut-être, tant on a l’impression que tout pourrait être plus simple. Eh mec, y a qui dans ta caisse ? Mais on n’est pas dans la tête des deux personnages principaux et c’est toute la vertu du film de nous y plonger peu à peu : quelle que soit la réalité du racisme « institutionnel », celui des flics américains à la gachette facile notamment, la peur est bien là, ancrée dans les têtes – même celle d’un afro-américain parfaitement intégré, qui sera un jour un biologiste de renom, « le Barack Obama des bactéries », dit son copain.

Là encore, l’aspect un peu trop théorique du film (les différences entre les deux amis, par exemple, sont bien artificielles) est balayé par son humour, son ambivalence bienvenue (la première scène offre une réflexion inattendue sur le mot « nigger »), son interprétation (Donald Elise Watkins et RJ Cyler, les deux potes) et le suspense qui s’en dégage (malgré un petit creux dans deuxième heure). Question annexe autour de ces deux « films de plateforme » : quel sera le parcours à venir de leurs auteurs, Mimi Cave et Carey Williams, forcément des talents à suivre ? Feront-ils des films pour la salle ou leur destin est-il d’être de solides mercenaires de la s-vod ? To be followed, comme on dit à Sundance.