Laura Galán dans Cerdita, de Carlota Pereda

LE PREMIER FILM DE CARLOTA PEREDA, CERDITA, EST UN PUISSANT CONTE NOIR AUTOUR D’UNE ADO OBÈSE, HARCELÉE PAR LES JEUNES FILLES D’UN VILLAGE ESPAGNOL. IL RÉVÈLE UNE CINÉASTE.

C’est là qu’on se dit que, bien sûr, dans une salle de cinéma, entouré d’un public poussant des cris d’indignation ou de dégoût, ç’aurait été encore plus fort, genre séance vraiment inoubliable. Mais même sur ma télé, la découverte de Cerdita (en anglais, Piggy, en français je propose « Truie-truie », pas sûr que ma proposition soit retenue), premier film horrifico-cathartique de l’Espagnole Carlota Pereda, présenté dans la section Midnight du Festival de Sundance, c’est quelque chose, le plaisir pas du tout coupable d’un conte noir et sanglant, mené de main de maître par la réalisatrice.

Soit, donc, dans un village d’Extrémadure, la jeune Sara, fille du boucher, obèse d’oreilles de porc et de boudin de sanglier, cruellement moquée depuis toujours par les jeunes pécores du village, qui la traitent donc de « cerdita », traductions ci-dessus. Mais en ce jour de soleil de plomb, la visite quasi-quotidienne de Sara à la piscine, aux heures les plus chaudes pour éviter la foule, va prendre un tour, disons, inhabituel : parce qu’un type patibulaire rôde dans le village, qu’un taureau s’est échappé d’une arène et que les filles ont poussé un peu le bouchon dans leur harcèlement grossophobe…

Le talent de la cinéaste (et de son interprète, Laura Galán, dans la vie plus âgée que son personnage, ce qui ne se devine pas) à créer le malaise, puis à le transformer en peur véritable, et peu à peu à métamorphoser son personnage, de lui faire quitter son statut de victime, est remarquable. D’autant que cette évolution repose sur un scénario tendu comme un ressort d’horloge, à l’implacable déroulement. Franchement, c’est très fort.

Dès qu’il y a boucher surgit le souvenir de Carne de Gaspard Noé – et la récurrence d’une tache de sang de viande sur la page d’un manuel d’algèbre est l’une des images les plus subtilement horrifiques du film ; mais Noé l’aurait tourné en scope alors que la cinéaste a préféré un format 1 :33 qui piège ses personnages. Mais on pense aussi – et la bonne critique de Variety le souligne à raison – à Catherine Breillat période À ma sœur, voire à Carrie de De Palma, pour son personnage féminin ensanglanté. 

La cinéaste et ses acteurs pendant le tournage de Cerdita

Ce qui me plaît surtout, c’est que Cerdita n’est pas « que » un film sur le harcèlement, vraie question de société, mais la vision exacerbée, inventive, dérangeante de ce problème, via un regard de créatrice (qui a dit avoir été elle-même victime d’homophobie). Le film est ultra-réaliste mais il a aussi tout d’une fable horrifique, notamment via ses personnages secondaires : depuis les parents de Sara, un couple d’ours mal léchés, jusqu’aux trois harceleuses, qui ont des airs de sorcières. Que la grosse Sara déjoue la plupart des pièges s’ouvrant sous ses pieds tient aussi d’une logique de conte.

S’il y a parmi mes lecteurs (ce pluriel est prétentieux, je sais) des habitués du Festival de Clermont-Ferrand, cette histoire leur dira quelque chose : Cerdita était à l’origine un court-métrage, présenté en 2019, qui est dispo sur le net, mais que je vous conseillerai de ne pas regarder pour vous garder la primeur de la chose. En revanche, cadeau ci-dessous, l’interview que Carlota Pereda avait donné à Clermont. Souvenez-vous du nom de la réalisatrice, il serait surprenant de ne pas le voir réapparaître quelque part à Cannes 2022.